Formidable Jura!

J'adore les raclettes. Oh, pas tellement pour le fromage et la charcuterie, mais surtout parce qu'une raclette, c'est toujours l'occasion (et le prétexte...) de boire des vins du Jura. Et les vins du Jura, j'en suis fou. Le cuisinier d'un célèbre caviste stéphanois me disait un jour que plus on vieillissait, plus on recherchait la finesse et la délicatesse dans les vins. Alors il faut croire que je vieillis, et c'est à cause principalement des vins jurassiens!
J'ai commencé à aimer le vin, j'ai eu le déclic et la passion est aussitôt née après avoir bu un grand cru classé de Bordeaux. C'était un Leoville Las Cases. Quoi? Ca pouvait être ça le vin?!? Ca pouvait être aussi immense, autant chargé d'émotion? Je me suis alors passionné pour les grands crus de Bordeaux et la plupart des vins que j'ai achetés à l'époque sont encore en train de vivre leur adolescence dans ma cave. Mais c'est surtout une question de goût: j'aimais alors (et je recherchais exclusivement) des vins charpentés, généreux, flatteurs, riches. Le grand Bob avait écrit ma bible des vins. Je me suis ensuite ouvert aux grands vins de la vallée du Rhône et lorsque je le pouvais, j'allais arpenter les allées bondées du marché aux vins d'Ampuis... 
Et puis j'ai découvert les vins du Jura. D'abord les jaunes, dont j'aimais l'opulence et la typicité. Et puis grâce à un ami, j'ai découvert les blancs ouillés et les fameux plou-plou et autres trou-trou! Ce sont ces vins qui m'ont ouvert un nouvel horizon gustatif, qui m'ont fait comprendre ce que beaucoup, dans leurs commentaires, nommaient "la finesse" et qui jusqu'alors, pour moi, rimait avec l'absence de matière, et l'acidité. Bref, avec le vin bas de gamme. C'est aussi principalement ces vins, même s'il y a quelques exceptions, qui m'ont ouvert à la vinification naturelle, à cette énergie et cette pureté du fruit que l'on y trouve.

Aujourd'hui, je peux dire que je suis un inconditionnel des rouges jurassiens et que les blancs comptent pour moi comme étant, dans leur ensemble, les plus grands vins blancs de France. Combien de fois ai-je été déçu par un grand Bourgogne, payé une fortune qui plus est? La dernière fois que je suis allé à Ampuis (c'était l'année dernière), aucun blanc ne m'a procuré de plaisir (et ne parlons pas des rouges, où j'ai vraiment compris, là aussi, ce que certains commentateurs appellent "le jus de planche"). Mais j'ai appris à ne pas me faire d'avis définitifs et je sais que les goûts changent et évoluent. Je ne renie ni ne rejette rien même si je suis devenu beaucoup plus exigeant sur les méthodes culturales et de vinification. 

Bref, j'en reviens à ma raclette. J'ai ouvert, pour l'occasion, un blanc (que je n'avais jamais goûté) et un rouge (que je connais plutôt bien).



André et Mireille Tissot - Arbois "Sélection" 1996:

J'avais acheté cette bouteille à la cave d'Arbois, alors qu'on était en vacances. Tandis que ma femme et mes enfants se régalaient d'une excellente pâtisserie d'Hirsinger, je n'avais pas pu résister à l'attraction de ce caveau, de l'autre côté de la place. J'y avais dégusté des choses magnifiques, que j'ai ramenées d'ailleurs (et notamment un superbe "Trousseau en Qvevri"), et cette bouteille, qui n'était pas proposée à la dégustation, m'avait tapé dans l'oeil. Je ne me souviens plus ce que la jeune femme sympathique qui m'avait fait déguster m'en avait dit et c'était donc avec grande curiosité qu'il me tardait de goûter cette bouteille. 

La robe est d'un bel or intense, légèrement cuivrée, rappelant certaines grandes bières belges d'abbaye.

Le nez est très surprenant et assez inédit pour moi. Il y a un peu de fruits à coques (plus l'amande que la noix d'ailleurs), mais c'est léger. Il y a surtout un parfum envoûtant mêlant fleurs blanches, fruits jaunes confits, levure de boulanger fraîche. Mais autre chose domine. Il me faudra du temps pour trouver mais une fois que j'ai mis le doigt dessus, c'est très clair et c'est avec une certaine excitation que je lance: "ça sent la truffe!". Pas le thiolane gaz que l'on peut retrouver surtout sur les mésentériques, ni l'odeur d'humus et de terre que l'on trouve chez les brumales (et qu'on peut déceler dans certains grands vins rouges à maturité). Non, ici, c'est l'odeur de la mélanosporum fraîche, celle de la Drôme, pas tout à fait mûre. Cette odeur un peu beurrée, et qui peut rappeler, par certains aspects, l'odeur de la pomme. J'avais encore jamais senti ça dans un vin blanc. Ca confirme aussi ce que j'ai pressenti pendant la dégustation, à savoir que le chardonnay est ici dominant. C'est envoûtant disais-je, et magnifique. 

En bouche, on retrouve ces mêmes arômes dominants de truffe, mais il y a ici une typicité plus jurassienne que je reconnais davantage. Si on garde cette fraîcheur un peu beurrée et levurée du nez, avec les fleurs blanches et un petit côté amaretto, on sent enfin qu'on est sur un élevage oxydatif. Les fruit secs et les épices se positionnent clairement sur la finale, qui est ponctuée par une très légère, sans lourdeur, touche de miel. C'est très très bon, même si je peux envisager qu'après deux verres, on puisse y trouver un côté légèrement écoeurant (ce sera le cas d'un des invités du soir).

Commentaire général: Excellent! Belle surprise que cette cuvée bue ici à parfaite maturité et une nouvelle facette du Jura que je découvre à cette occasion. Hautement recommandé.   



Camille Loye - Arbois Cuvée Saint Paul 1989:

Bon, là, je suis en terrain connu. Ce vin semble figé dans le temps. C'est la troisième fois que je le bois en 3 ans, et il a pas bougé d'un iota (bon, vous me direz, compte tenu de l'âge du vin, 3 ans, c'est pas grand chose...). Et chaque fois que je le goûte, j'y prends davantage de plaisir. 

La robe est légère, assez claire, sur des nuances de rouge ambré avec des reflets peaux d'oignons dans le disque. Elle fait son âge mais en même temps, elle est très jurassienne et j'aurai donc du mal à donner un âge approximatif à un rouge du Jura sur le seul critère de la robe car ces nuances caractéristiques peuvent être présentes même sur un vin jeune (même si moins intenses et marquées).  

Le nez est remarquablement fin et délicat. Passée une note animale assez typique mais en rien gênante, on retrouve un mélange vibrant de fruits encore jeunes. On est ici principalement sur la fraise écrasée, la framboise et un peu la griotte. Il y a des épices aussi (peut-être le curcuma) mais surtout la finesse et la délicatesse d'effluves florales évoquant la rose séchée et me rappelant de magnifiques expériences de vieux millésimes de Bel Air Marquis d'Aligre. 

La bouche est soyeuse, légère, aérienne. C'est d'une grande finesse. On y retrouve les arômes perçus au nez avec en finale une dimension aromatique un peu plus mûre (la matière, elle, reste légère, en dentelles), évoquant peut-être le pruneau (pas très loin d'une impression de très vieux Chateauneuf). A part cette touche animale, mais qui est peut-être variétale, je n'y trouve pas particulièrement un registre aromatique tertiaire. Pour moi, il n'y a pas de sous-bois ou de champignon, le registre reste celui du fruit. En revanche, la matière fondue et délicate nous rappelle bien à la sagesse de ce vin.

Commentaire général: Toujours aussi bon. Un vin qui nous rappelle que le Trousseau n'est pas un cépage de seconde zone, et qu'il peut devenir grand avec le temps. Il faut aimer ce type de vin de méditation, qui ne sont pas démonstratifs mais élégants et qui s'abordent avec subtilité et raffinement. Moi, je fais parti des adeptes. 



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