L'Anglore, encore et encore!...

Il y a environ 6 ans, je franchissais pour la première fois la porte d'une modeste cave à vins, qui ne payait pas de mine, installée dans un ancien atelier d'ourdissage d'une petite rue de Saint-Etienne. Cela faisait quelques années que je m'intéressais au vin, et avec un brin de prétention, je pensais avoir tout goûté, je pensais connaître le vin, et surtout, connaître mes goûts.  
Je n'avais pas l'habitude de demander conseil au caviste: la plupart du temps, j'affirmais sur un ton assuré: "Non, merci, je regarde juste ce que vous avez"... Mais dans cette cave (très renommée depuis), je perdais tous mes repères. Pas d'appellation sur la plupart des bouteilles, aucune étiquette connue... Ces bouteilles alignées là sur de simples étagères en bois suscitaient en moi un sentiment partagé. J'étais à la fois intrigué par ce monde que je ne connaissais pas et en même temps, comme dirait notre président, quelque peu sceptique et méfiant. Les prix étaient très raisonnables : quasiment aucune bouteille au-dessus de 20 euros si ce n'était un simple Côtes du Rhône à l'étiquette old school, qui avoisinait les 60 euros (c'était, j'ai eu le temps de le découvrir depuis, ce formidable Fonsalette). 
Bref, décontenancé, je demandais conseil au caviste qui me dirigea vers ce qu'il venait de rentrer, un vin à cheval entre la Provence et le Gard qu'il me présenta, ce qui m'étonna pour la région, comme particulièrement frais et digeste. 

Rentrant chez moi, la curiosité était trop forte et je m’empressais d'ouvrir cette bouteille. C'était très déstabilisant. Ca ne ressemblait à rien de ce que je connaissais, et surtout pas à un vin du Rhône Sud. L'étiquette était assez "cheap", avec un petit lézard, le nom du domaine, du vigneron et l'indication "Vin de France". Au premier verre, j'étais dubitatif, au second verre je commençais à apprécier. A la fin de bouteille, il ne me tardait qu'une seule chose: redescendre sur Saint-Etienne pour racheter au plus vite ce merveilleux nectar. Je venais de mettre un pied dans le monde du vin naturel, et ma passion du vin, qui était déjà aigüe, devint compulsive. 

Depuis, il n'est pas un jour où je vais travailler sur Saint-Etienne sans que je ne passe "Au Verre Galant" (si ce n'est lorsque ça tombe un lundi, auquel cas la journée est bien morose). Je ne sais jamais ce que je vais en ramener, je laisse le caviste (ou son très sympathique cuisinier) me conseiller, et si certains des vins que j'y ai découvert sont devenus pour moi des références absolues (comme, entre autres, ceux du domaine de L'Anglore), je continue, régulièrement, à y dénicher de formidables pépites. 

Tout ça, c'était bien avant "L'Angloramania" qui semble avoir contaminé le monde entier. Désormais, le petit lézard est devenu célèbre, et les bouteilles se font plus rares. J'en bois moins souvent, malheureusement, mais chaque dégustation est un moment privilégié, un moment de joie et de plaisir sensoriel intense.  

Le père Noël se siffle une Véjade...

Ce soir, c'était la Véjade 2016, peut-être la cuvée la plus glou-glou du domaine (à moins que ça ne soit "Les traverses", je ne sais plus, il faudrait les goûter ensembles), mais tous les vins de ce cher Pfifferling sont touchés de la même grâce, tous ont cette même patte reconnaissable entre mille.

La robe fait très "vin naturel". Rubis claire, avec des reflets aux nuances légèrement peau d'oignons. 

Au nez, waouh... C'est du Pfifferling, ça ne peut pas être autre chose. Une explosion de fruits rouges, avec de la fraise tagada et un bouquet finement épicé (poivre, gingembre et peut-être même une touche de cannelle). Là où beaucoup de vins naturels développent de légères notes animales (qui ne me gênent aucunement), chez Pfifferling, on a plutôt un côté très sanguin, presque métallique. C'est très expressif, envoûtant. Juste magnifique. 

La bouche est à l'image du nez, sur les petits fruits rouges, avec de fines notes épicées, un peu d'orange sanguine et ce côté un peu métallique, qui m'évoque légèrement le goût du sang, et qui pour moi est la marque de fabrique de l'Anglore. Dit comme ça, on pourrait craindre un défaut (et je pourrai comprendre que certains n'aiment pas), mais non, pour moi, ça apporte une tension au vin et ça met en relief le mélange fruits/épices, ça l'agrémente. La matière est superbe et la texture d'une finesse remarquable. On est sur un vin d'infusion, peu extrait, ou plutôt parfaitement extrait, d'une délicatesse sans pareille. La finale est fraîche avec une légère amertume, très raffinée et salivante, qui appelle la gorgée suivante. Qu'est-ce que c'est bon!

Commentaire général: L'Anglore, c'est un coup de coeur renouvelé à chaque bouteille. Cette Véjade 2016 ne fait pas exception à la règle. C'est un vin d'une buvabilité énorme et d'une sensualité et d'un raffinement hors du commun.

Là, tout de suite, ce vin m'évoque une peinture, la "Betty" de Gerhard Richter, peinte en 1988: le même équilibre, le même chatoyant, la même douceur, la même perfection. 


  Gerhard Richter - Betty (1988) 



Commentaires

Articles les plus consultés